Le point marché : un premier trimestre riche en évènements

Nous concluions, l’année dernière, notre bilan 2021 en annonçant que bien que l’exercice 2022 ne faisait que débuter, il s’annonçait déjà chargé. Nous n’avions évidemment pas anticipé de tels évènements mondiaux mais ce premier trimestre ne fait que confirmer que le cru 2022 sera riche en rebondissements : guerre russo-ukrainienne, envolée des prix de l’énergie, inflation, normalisation des politiques monétaires, situation sanitaire… la liste est fournie et alimente l’actualité et les marchés boursiers jour après jour. Le changement d’année n’a évidemment pas effacé les craintes listées lors de notre bilan de fin d’année, bien que certaines aient perdu en intensité (covid) ou aient été reléguées au second plan (élections présidentielles françaises) tandis que d’autres ont gagné en importance (tensions géopolitiques, prix des matières premières, inflation, …). Dans ce maelström de bouleversements, le tableau n’est pas si sombre et de bonnes nouvelles sont néanmoins à mettre en avant comme la robustesse de la majorité des grandes économies mondiales ou encore un marché du travail florissant et en bonne santé.

Une dynamique économique à double vitesse

Des économies robustes dans les pays occidentaux…

L’année dernière déjà, nous constations une forte reprise de l’activité économique, et ce, des deux côtés de l’Atlantique. Les chiffres publiés faisant état de la vigueur de l’économie ne déméritent pas, ce premier trimestre, et s’inscrivent dans la continuité de 2021. En effet, l’année dernière, le principal facteur de soutien de l’économie provenait du dynamisme de la consommation des ménages et bien que celui-ci soit toujours d’actualité, on peut désormais constater que la reprise économique s’ancre de plus en plus fermement et durablement et se propage dans les différents pans de l’économie.

Aux Etats-Unis, on peut ainsi constater mois après mois que les indicateurs d’activité ISM et PMI ne cessent de s’inscrire en hausse. Ces deux indicateurs avancés permettent de rendre compte de la santé et robustesse d’une économie : supérieurs à 50, ils font état d’une économie en expansion de l’activité tandis que des niveaux inférieurs à 50 signalent une économie en contraction. Qu’on regarde du côté de l’industrie ou des services, les indicateurs sont tous les deux sur des niveaux élevés, largement supérieurs au seuil de croissance. Le PMI manufacturier progresse donc à 58.5 en mars (contre 57.3 en février). Il en est de même pour le PMI dans le secteur des services qui s’inscrit en hausse à 58.9 (contre 56.5 le mois précédent). Les rebonds observés d’un mois sur l’autre semblent résulter d’une amélioration des conditions sanitaires ainsi que pour l’industrie, d’un net redressement des commandes à l’export. Toutefois, certaines sous-composantes de ces indicateurs suggèrent des difficultés d’approvisionnement toujours prégnantes.

Le marché du travail quant à lui ne cesse de surprendre par son amélioration. Selon les dernières données le taux de chômage avoisine son point bas historique à 3.6%, le record ayant été marqué en février 2020, pré Covid, à 3.5%. Non seulement, les rapports d’emploi attestent de nouvelles créations d’emplois et d’une décrue du taux de chômage mais le taux de participation s’inscrit lui-même en hausse pour atteindre 62.3% en février. Ce sont des signaux forts et positifs que la population américaine reprend massivement la voie de l’emploi et que la demande est forte.

En Europe, le constat est relativement similaire, mais nuancé par notre proximité au conflit russo-ukrainien. En effet, le PMI bien que supérieur au seuil de 50 marquent le pas en mars et se replie à 54.9 (contre 55.5). Même si le niveau reste largement en zone d’expansion, l’impact de la guerre en Ukraine semble effacer les effets positifs liés à l’assouplissement des restrictions sanitaires. C’est, sans surprise, dans l’industrie manufacturière que la contraction a été la plus marquée, l’indicateur ayant été freiné par un fort ralentissement des nouvelles commandes. Cette compression de la sous-composante des commandes trouve son explication dans le contexte géopolitique : le poids des incertitudes et les pressions inflationnistes se traduisent par un recul marqué de la confiance des consommateurs mais aussi du climat des affaires. Pour autant, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. A titre d’exemple, le PMI de la France s’inscrit en hausse en mars (+0.7 point) tandis qu’il recule en Allemagne (-1 point).

A l’instar de nos voisins américains, l’amélioration du marché du travail se généralise également en Zone Euro avec un taux de chômage qui poursuit sa baisse et atteint à 6.8% un plus bas depuis la création de la Zone. Par pays, il atteint des niveaux historiquement bas en Allemagne (3.1%) et en France (7%). Bien qu’il baisse aussi en Europe du Sud (12.7% en Espagne et 8.8% en Italie), il reste sur des niveaux élevés. Le taux de participation a quant à lui retrouvé son niveau d’avant crise dans la plupart des pays.

 

… mais en sous-régime dans d’autres zones géographiques

Si l’on prend l’exemple de la Chine, bien que les données d’activités aient surpris à la hausse pour les mois de janvier et février, notamment tirées par la période du nouvel an lunaire, les restrictions sanitaires sévères présentent un risque pour la croissance. En effet, alors qu’en Europe et aux Etats-Unis la situation sanitaire semble s’améliorer, c’est loin d’être le cas en Chine où la dégradation du contexte sanitaire se poursuite et amène les autorités à imposer de nouvelles restrictions. Rien que sur les derniers jours du mois de mars ce sont près de 54 millions de personnes confinées, répartis sur 3 villes (Shanghai, Shenzhen et Shenyang). A Shanghai, la ville sera même fermée : fermeture temporaire des écoles, entreprises, restaurants, centres commerciaux et arrêt des transports publics. Ces mesures ont été prises dans le cadre la stratégie zéro-Covid du gouvernement. Ainsi, l’économie chinoise devrait se maintenir en sous-régime dans les prochains mois, alors que l’incertitude associée au conflit en Ukraine et à la hausse des prix se cumulent aux difficultés sanitaires.

Les pays émergents, de manière plus générale, risquent également de souffrir du contexte géopolitique de par leur dépendance à l’énergie et aux denrées alimentaires qui voient leurs prix s’envoler. Cette hausse des coûts pourrait présenter un risque non négligeable pour leurs économies.

 

Une inflation qui prend ses aises et s’installe plus confortablement que prévu

Toute chose égale par ailleurs, et même si les « grandes » économies mondiales font état d’une croissance robuste, c’est également le cas de l’inflation qui continue sans relâche à monter en puissance. Alors qu’elle commençait à s’installer en début de trimestre, elle a connu une très nette augmentation sur le mois de mars, portée par la sensible envolée des prix de l’énergie et des matières premières alimentaires.

En Zone Euro, l’inflation est ressortie à 7.5% sur un an alors que le mois de février n’enregistrait un rebond « que » de 5.9%. Une large partie de l’accélération s’explique toujours par la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation qui contribuent à hauteur de 70% de la croissance annuelle alors qu’elles ne représentent que 32% du panier. A titre d’exemple, les prix de l’énergie ont bondi de 44.7% par rapport à mars 2021 alors que ce chiffre ne représentait que 32% le mois précédent. Il en va de même, dans une bien moindre mesure, des prix de l’alimentaire qui ont progressé de 5% sur un an en mars.

Bien qu’aux Etats-Unis l’inflation affiche un niveau record sur les 40 dernières années, à 7.9%, les raisons sont toutes autres. Alors qu’elles s’expliquent en grande partie par la hausse des prix de l’énergie en Zone Euro (inflation importée), aux Etats-Unis, elle est principalement domestique et alimentée par la hausse des salaires liée au presque plein emploi. Cela se constate d’ailleurs dans l’inflation « core » (qui exclut les prix de l’énergie et de la nourriture) qui ressort à 6.4%.

 

Des politiques monétaires asymétriques mais qui prennent la même direction ?

Bien loin de l’objectif de 2% des banques centrales, ces dernières devront agir pour enrayer cette inflation qui croit sans faiblir depuis un an déjà et qui pourrait à terme devenir un frein à la croissance. La détérioration de l’environnement géopolitique et ses conséquences sur l’économie mondiale compliquent la tâche déjà ardue des banques centrales à normaliser leurs politiques monétaires. Comme évoqué précédemment, les contextes économique et inflationniste diffèrent entre la Zone Euro et les Etats-Unis et entrainent de fait des enjeux différents pour la Banque Centrale Européenne (BCE) et la Réserve Fédérale Américaine (FED). Cette asymétrie prenait déjà forme l’année passée et se retrouve d’autant plus marquée cette année du fait des conséquences de la guerre en Ukraine, qui touche plus fortement la Zone Euro, davantage impactée de par sa proximité et sa dépendance énergétique. Quelle que soit la zone géographique et les enjeux, l’inflation reste la principale menace et les banques centrales, rassurées par la stabilité des économies, commencent d’ores et déjà à normaliser leurs politiques monétaires afin d’endiguer la hausse des prix.

C’est la FED qui ouvre le bal et qui a initié, comme attendu, son cycle de resserrement monétaire avec une hausse de 25 points de base (pb) de son taux directeur lors de sa réunion du 16 mars, pour la 1er fois depuis 2018, le portant à [0.25%-0.5%]. Au-delà de ce 1er mouvement, le rythme de resserrement projeté dans les prochains mois est résolument agressif. Le comité de politique monétaire (FOMC) envisage en effet d’augmenter son taux directeur à l’occasion de chacune de ses réunions en 2022, confirmant la volonté de l’institution d’agir vite et fort pour juguler l’inflation, dont les risques haussiers se renforcent avec le conflit russo-ukrainien. La trajectoire désormais envisagée par le FOMC prévoie 3.5 hausses supplémentaires en 2023 et un statu quo en 2024, portant le taux à 2.75% en fin d’année prochaine. Toutefois, Jerome Powell, le Président de la FED, n’écarte pas la possibilité d’une augmentation de 50 pb dans les prochains mois.

Concernant la politique quantitative, il a suggéré que l’annonce de la réduction du bilan pourrait intervenir dès la prochaine réunion du FOMC au mois de mai.

Bien que moins agressive, la BCE confirme également le tournant plus restrictif de sa politique monétaire. Si certains membres considéraient que les achats d’actifs et les taux directeurs n’étaient plus cohérents au vu du contexte, la guerre en Ukraine et l’envolée des prix de l’énergie sont venues compliquer la tâche de la BCE. Face à un tel choc qui devrait continuer de tirer l’inflation vers le haut mais aussi pénaliser la croissance, l’institution va devoir trouver un équilibre.

La BCE a finalement décidé de poursuivre la normalisation de sa politique monétaire en réduisant plus rapidement que prévu ses achats d’actifs et laisse la porte ouverte à une hausse de taux en fin d’année. Le conseil des gouverneurs s’est toutefois laissé un maximum de flexibilité dans la conduite de sa politique monétaire, notamment au regard du conflit russo-ukrainien et du risque de stagflation.

 

La géopolitique au premier plan

Après l’avoir évoqué tout au long de cette note, et sans revenir sur l’intégralité des faits et des détails qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines, nous ne pouvions omettre d’évoquer les tensions géopolitiques qui sévissent depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Que ce soit en provenance de l’Union Européenne, du Royaume-Uni ou de la Maison Blanche, c’est à une pluie de sanctions que s’est exposé le gouvernement russe en décidant d’envahir l’Ukraine. Pour n’en citer que quelques-unes : (1) interdiction de transactions avec certaines entreprises russes ; (2) interdictions d’importations de produits de secteurs phares de l’économie russe ; (3) interdiction d’exportations de certains produits vers la Russie ; (4) menaces à peine voilées du Président Joe Biden au Président Xi Jinping sur les « conséquences » potentielles si Pékin fournissait une aide militaire au Kremlin ; (5) révocation du statut commercial de « nation la plus favorisée » de la Russie (ouvrant la voie à des hausses de tarifs douaniers sur les importations de produits russes) ; (6) sanctions individuelles visant 400 personnalités ; … la liste est longue mais semble avoir été efficace. En effet, l’annonce de l’armée russe de vouloir concentrer ses efforts militaires sur l’est de l’Ukraine et notamment dans la région du Donbass a été perçue positivement. Ce repli stratégique met en exergue les difficultés sur le terrain de l’armée russe auxquelles s’ajoutent fort probablement celles issues des sanctions internationales qui impactent l’économie russe (et donc la population) et avec lesquelles Vladimir Poutine doit jongler.

 

La poursuite de l’envolée des prix des matières premières et de l’énergie

Outre les conséquences directes sur l’inflation de la hausse des prix de l’énergie, ces dernières ont également eu d’autres impacts économiques à commencer par les perturbations sur le secteur industriel. En effet, la flambée des prix de l’énergie, les coûts plus élevés dans les transports et les matières premières, et la pénurie de certains intrants ont mis à mal les chaines d’approvisionnement et entrainent dans son sillage une augmentation des coûts sur le secteur.

Par ailleurs, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la mise en place de sanctions internationales ont accéléré la volonté de l’UE de réduire sa dépendance au gaz russe. Cela passe par de nouvelles sources d’approvisionnement, mais aussi par des investissements dans les énergies renouvelables.

A plus court terme, les Etats-Unis et l’UE ont trouvé un accord sur une hausse des exportations américaines de gaz naturel liquéfié vers l’UE cette année. En outre, la décision de libérer 180 millions de barils des réserves stratégiques américaines au cours des 6 prochains mois a permis de faire refluer le prix du pétrole en fin de trimestre. Cette décision va permettre de mettre 1 million de barils supplémentaires par jour sur le marché. Ce ne sera pas suffisant pour compenser un éventuel arrêt des exportations russes dont la production dépasse 10 millions de barils par jour mais le symbole est fort puisque c’est la 1ere fois depuis 2011 que les Etats-Unis prennent cette décision.

 

Et les marchés boursiers dans tout ça ?

Alors que les marchés boursiers avaient débuté l’année sur une rotation sectorielle, privilégiant les valeurs cycliques et « value » au détriment de celles dites de « croissance », la guerre en Ukraine a tout chamboulé sur son passage.

En effet, en janvier, suite à trois années fastueuses pour les valeurs de croissance, le marché a opéré à une rotation sectorielle en faveur des grands perdants boursiers des années covid : les valeurs industrielles, cycliques et financières, qui ont eu le vent en poupe jusqu’au 24 février, date de l’invasion. S’en est suivi une forte baisse généralisée des places mondiales, et plus particulièrement de celles dont la proximité au conflit était la plus forte. Comme c’est le cas généralement lors des phases d’extrême volatilité, ce sont dans un premier temps les valeurs défensives qui ont été recherchées, ainsi que les valeurs énergétiques et les matières premières du fait de l’anticipation de la hausse des prix qui s’annonçait. A contrario, les valeurs exposées à la Russie, les cycliques et les financières ont été vendues. La volatilité s’est résorbée fin mars et a permis à de nombreuses places financières de revenir sur leurs niveaux pré-invasion, voire même de le surpasser.

A court terme, et tant que le conflit n’aura pas touché à sa fin, nous pensons que les marchés actions subiront une forte volatilité. Toutefois comme nous l’évoquions l’année dernière, cette volatilité est à notre sens porteuse d’opportunités à condition de faire preuve de sélectivité. Au vu du contexte, nous pensons toujours que les valeurs de croissance et les thématiques séculaires devraient continuer à être recherchées. La volatilité et les prises de bénéfices engendrées pourraient également être l’occasion de se repositionner sur certaines valeurs cycliques et value qui pourraient bénéficier du contexte. Enfin sur le plan géographique, nous privilégions actuellement les Etats-Unis qui devraient mieux se tenir du fait de leur éloignement et du peu de dépendance économique avec la Russie et l’Ukraine.

 

En définitive, on peut dire que l’année 2022 commence sur les chapeaux de roue avec de nombreux défis à relever. Toutefois, malgré toutes les craintes et incertitudes qui règnent n’oublions pas que nous rentrons dans une zone de turbulences avec des économies mondiales solides et des banques centrales qui, bien qu’elles souhaitent se montrer moins accommodantes pour lutter contre l’inflation, sauront se montrer flexibles pour soutenir la croissance si besoin. A l’instar de notre bilan 2021, nous restons convaincus que des épisodes volatils pourront faire leurs apparitions à court et moyen terme et qu’il existe encore de nombreuses opportunités d’investissement. En effet, les valeurs de croissance des pays développés, bénéficiant d’un pricing power important, tout comme les fonds liés à des investissements durables et responsables dont les enjeux internationaux sont aujourd’hui plus qu’hier au cœur des velléités des gouvernements. Enfin, les fonds de performance absolue, se nourrissant de volatilité pour capter des rendements indépendamment des tendances, nous paraissent également être une solution pertinente pour 2022 et les années à venir.

Avez-vous aimé l’article ?