Croissance, inflation, taux, marchés financiers : Le point trimestriel

Alors que nous constations déjà un début de ralentissement de l’activité mondiale au trimestre précédent, les indicateurs économiques récents semblent confirmer cette tendance, dans un contexte où les tensions géopolitiques semblent refaire surface et dans lequel la Chine ne connait pas le rebond tant espéré. Néanmoins, le tableau est loin d’être si morose puisque deux bonnes nouvelles se dessinent sur le front des banques centrales américaine et européenne, qui semblent sur le point d’atteindre le terme de leurs cycles de resserrement de politique monétaire, mais aussi du côté de l’inflation qui montre enfin des signes d’inflexion.

Vers la fin des cycles de resserrement des politiques monétaires de la FED et de la BCE ?

Depuis près d’un an et demi la majorité des banques centrales ont enclenché les remontées de taux à marche forcée pour combattre l’inflation. On observe désormais, dans la plupart des pays, un changement dans la réflexion des banquiers centraux qui se trouvent confrontés au choix cornélien de choisir entre la résorption de l’inflation au détriment de la croissance, ou au contraire d’observer un temps d’arrêt dans les hausses de taux, en prenant le risque que l’inflation s’installe durablement et soit plus difficile à combattre. Bien que le choix paraissait clair il y a un an (« combattre l’inflation quel qu’en soit le prix »), ce dilemme prend une toute autre tournure aujourd’hui avec des données économiques qui commencent à faire état d’un ralentissement de l’activité mondiale. En outre, les banquiers centraux peinent à déterminer si le cycle de resserrement a produit tous ses effets ou si un délai supplémentaire est nécessaire pour que la transmission de la politique monétaire à l’économie soit totale.

Après un statu quo en juin, le 1e en 15 mois et après 10 hausses consécutives, la Réserve Fédérale Américaine (FED) a de nouveau opéré une hausse de ses taux directeurs (+0,25%) lors de sa réunion de politique monétaire de juillet, portant la fourchette à [5,25%-5,50%], soit le plus haut niveau depuis 22 ans, mais a décidé de laisser ses taux inchangés suite à la réunion de septembre. Bien que les membres du FOMC se montrent partagés sur la question de la poursuite ou non du cycle de resserrement monétaire, ils conservent leur message de prudence sur l’évolution de l’inflation et s’accordent à dire que les prochaines décisions du FOMC dépendront des statistiques sur le marché du travail et de l’évolution des prix. A l’occasion de sa réunion de politique monétaire de septembre, Powell a en outre confirmé ses prévisions de juin, qui anticipaient une hausse de taux supplémentaire pour 2023, en plus de celle de juillet. La FED devrait donc encore augmenter ses taux de 0.25% d’ici à la fin de l’année pour les faire retomber, selon leurs projections, entre 5% et 5.25% d’ici à fin 2024, contre les 4.6% anticipés lors de leurs prévisions de juin. Cette baisse moins forte qu’attendue est due à « une activité économique plus forte » qu’initialement prévue. La FED a d’ailleurs doublé sa prévision de croissance du PIB pour l’année 2023 et table désormais sur une hausse de 2.1%, contre seulement 1% en juin. Pour 2024, l’institution table maintenant sur une croissance de 1.5%, contre 1.1% lors de ses précédentes prévisions. Le ton a également évolué puisque précédemment, même si la FED se montrait rassurante en n’envisageant pas de récession d’ici la fin d’année, elle considérait la progression de l’activité économique comme « modérée » alors que le rythme est désormais décrit comme « solide », montrant ainsi sa confiance en la résilience et la robustesse de l’activité économique américaine.

En zone euro, la BCE a une nouvelle fois relevé ses taux de 0,25% à l’occasion de ses réunions de juillet et septembre, portant le taux de dépôt à 4,00%, soit son plus haut niveau jamais atteint depuis la création de la monnaie unique. Alors que le consensus s’attendait à un statu quo en septembre, mais encore à deux hausses de taux d’ici la fin d’année, en plus de celle de juillet, Robert Holzmann (membre des gouverneurs de la BCE) avait indiqué que la BCE ne ferait pas de pause dans sa hausse pour atteindre les 4%, et a précisé que la 1e baisse ne se matérialiserait pas en 2024 mais aurait plus de chance d’intervenir dès 2025. A l’instar de son homologue d’Outre-Atlantique, Christine Lagarde n’a pas donné d’indications précises concernant l’orientation de sa politique monétaire, et que celle-ci serait également tributaire des données économiques à venir. Elle a, en outre, indiqué que les changements structurels de l’économie risquaient d’alimenter les pressions inflationnistes à moyen terme. Elle a notamment cité la transition énergétique, qui demande des besoins d’investissements colossaux, ou encore la résurgence des tensions géopolitiques qui pourraient entrainer de plus fortes contraintes sur les chaines d’approvisionnement et donc in fine sur les prix.

Du côté de l’inflation, les données sont rassurantes, et ce, des deux côtés de l’Atlantique. En un peu plus d’un an l’inflation américaine a reflué à +3,2% en juillet dernier après avoir atteint un pic de +9,1% en juin 2022. L’inflation sous-jacente quant à elle a légèrement fléchi à +4,7% en juillet (contre +4,8% en juin) mais risque de rester sous pression du fait des tensions inflationnistes à venir liées à la hausse des salaires et de l’énergie.

En zone euro, et malgré les disparités entre les pays, les données agrégées affichent une inflation stable à +5,3% sur juillet et août, contre un point haut de cycle à +10,6% en octobre 2022. A l’instar des Etats-Unis, l’inflation sous-jacente montre des signes d’inflexion et baisse à +5,3% en août contre +5,5% en juin et juillet, grâce au ralentissement des hausse de prix dans les services.

Pour autant, malgré ces derniers bons chiffres, la BCE a relevé à la mi-septembre ses prévisions d’inflation pour 2023 et 2024, en raison de l’impact des prix de l’énergie suite à la décision conjointe de la Russie et de l’Arabie Saoudite de prolonger leur réduction de production de pétrole, qui a propulsé le prix du baril au-dessus des 90$. Les nouvelles projections macroéconomiques de la BCE prévoient ainsi une hausse des prix de 5,6% en 2023, puis 3,2% en 2024 et 2,1% en 2025, se rapprochant de l’objectif des 2,0%.

 

Des indicateurs économiques qui fléchissent et se contredisent

Alors que l’activité économique européenne ne laisse planer aucun doute sur sa décélération, la conjoncture économique américaine reste plus compliquée à analyser, entre données qui font état d’un ralentissement de l’activité et indicateurs qui, au contraire, témoignent d’une économie toujours résiliente.

L’enquête des PMI aux Etats-Unis indique ainsi une nette dégradation de l’activité en août, tant avec l’indice manufacturier qui reste en zone de contraction pour le 6e mois consécutif et fait état d’un affaiblissement encore plus marqué qu’en juillet, que du côté des services qui, bien qu’actuellement toujours en zone de croissance, accuse un ralentissement notable. De l’autre côté, les ISM américains affichent des progressions, tant sur le plan manufacturier que des services.

Dans la même lignée que les PMI, le Beige Book de la FED (rapport sur les conditions économiques dans chacun des 12 districts fédéraux des US) fait état d’une croissance économique modeste en juillet et août, mais il indique surtout que ce sont les dépenses des ménages qui ont ralenti ces dernières semaines. Pour rappel, les Américains ont bénéficié de hausses de salaires ainsi que d’aides gouvernementales conséquentes, pendant la pandémie de la Covid-19. De nombreux économistes et analystes estimeraient que cet « excès d’épargne covid » toucherait à sa fin et que les consommateurs devraient désormais recourir à l’endettement pour pouvoir consommer. Rappelons également que la consommation des ménages est depuis la pandémie une des sources principales de la bonne tenue de l’économie américaine.

Ainsi, même si certains indicateurs rassurent, la prudence reste de mise aux Etats-Unis où la vigueur de la consommation des ménages risque de s’estomper dans les semaines/mois à venir du fait de la réduction de l’épargne excédentaire accumulée durant la crise sanitaire.

En zone euro, quelle que soit l’enquête, les résultats témoignent du fait que la conjoncture économique a continué à se dégrader. En effet, le PMI composite de la zone euro est tombé à son plus bas niveau depuis novembre 2020 sous l’effet d’un recul couplé de l’activité du secteur manufacturier et des services. C’est la 1e fois depuis décembre 2022 que l’activité dans les services se contracte, les effets liés à la réouverture post-épidémie commençant à s’estomper. Par ailleurs, les enquêtes mesurant le climat des affaires mettent en évidence une baisse de la demande et signalent des carnets de commande déprimés. Dans la continuité, la confiance des consommateurs s’est également tassée pour la 1e fois depuis mars dernier.

Une stagnation de l’activité en zone euro est donc le scénario le plus probable pour les prochains trimestres, du fait d’une demande intérieure atone, mais aussi d’une conjoncture mondiale qui tourne au ralenti.

La question chinoise préoccupe

Alors que tous les investisseurs s’attendaient à un rebond fulgurant de l’économie chinoise une fois les mesures sanitaires allégées, la réalité a plus que largement déçu avec la publication d’enquêtes et d’indicateurs en berne, bien en-deçà des attentes.

L’économie chinoise peine à se relancer franchement, affaiblie par (1) une demande, tant domestique qu’internationale, hésitante ; (2) les contrecoups toujours présents de l’éclatement de sa bulle immobilière initiée il y a deux ans ; (3) l’endettement massif de son gouvernement.

Les données économiques chinoises font effectivement état d’une activité peu vigoureuse, avec un PMI manufacturier qui demeure en zone de contraction, et ce, pour le 5e mois consécutif, bien qu’il indique un recul moins prononcé en août qu’en juillet. Par ailleurs, bien que le PMI non-manufacturier reste en zone d’expansion, il poursuit son ralentissement.

Le secteur immobilier quant à lui, inquiète du fait que plusieurs gros promoteurs annoncent leur incapacité à rembourser leurs dettes. Nous avions déjà eu le cas en 2021 avec Evergrande, c’est aujourd’hui au tour de Country Garden de faire couler de l’encre. Par ailleurs, les ventes de logements neufs ont chuté de près de 34% au mois d’août et l’investissement immobilier est en recul de 8,5% en glissement annuel. Le marché immobilier représentant près de 30% du PIB chinois, ces baisses pourraient impacter plus largement l’activité économique du pays.

Enfin, contrairement à la crise de 2008 où le gouvernement avait réussi à soutenir son économie par une relance budgétaire massive, la situation est désormais bien plus délicate puisque l’endettement total du pays est passé à 360% en 2022 (contre « seulement » 160% en 2008), limitant ainsi drastiquement la marge de manœuvre du gouvernement concernant de potentielles mesures de soutien à l’économie.

Des marchés boursiers résilients mais tenus par une poignée de valeurs

A l’instar du trimestre précédent, la dynamique des marchés a été impulsée par les 7 plus grandes capitalisations de la cote américaine (GAFAM, Tesla et Nvidia). Outre les marchés italien et indien qui réalisent une performance respective à 3 mois de +3,6% et +6,5%, les principaux marchés boursiers, hors US, ont reculé.

La période estivale étant souvent synonyme d’accélération de la volatilité, cette année ne fait pas exception. On a ainsi pu constater un rebond du VIX (indice mesurant la volatilité aux US) de 26% au cours du mois d’août du fait de la faiblesse des flux.

Le marché des actions américaines est resté soutenu par des données macro-économiques en demi-teinte confortant à la fois les anticipations d’un atterrissage en douceur de l’économie, rassuré par les commentaires de la FED écartant un risque de récession en 2023, et celles d’une inflexion prochaine de la politique monétaire. En outre, les résultats trimestriels des banques américaines ont atténué les incertitudes les plus vives concernant les risques immédiats de liquidité dans le système financier. Dans ce contexte, les secteurs sensibles à la baisse des taux longs affichaient la plus forte hausse comme la technologie, les services de communication et la consommation cyclique.

Ces « bonnes » nouvelles ont cependant été pénalisées par le pessimisme des investisseurs concernant la santé de l’économie chinoise à la suite de publications décevantes sur l’activité industrielle, la consommation et l’emploi. Par ailleurs, les difficultés des deux plus grandes sociétés immobilières du pays (Country Garden et Evergrande) ainsi que les risques afférents sur le système financier du pays ont accentué la baisse des marchés.  Le marché chinois était ainsi en forte baisse, en l’absence de mesures concrètes de relance de l’économie.

En Europe, les marchés ont une nouvelle fois suivi le mouvement impulsé par les bourses américaines et chinoises, dans un contexte de publication des résultats trimestriels des entreprises et d’indicateurs économiques faisant état d’une décélération de l’activité.

 

Notre message de prudence initié il y a de cela déjà plusieurs trimestres reste de mise à court et moyen terme. Bien que l’inflation semble se résorber et que la FED et la BCE se rapprochent inexorablement de leur fin de cycle de resserrement monétaire, l’économie mondiale montre des signes d’essoufflement. Plus que jamais, la diversification d’une allocation restera primordiale, à la fois en termes de classes d’actifs, mais également au niveau géographique où l’on observe de réelles disparités selon les zones et les secteurs. Notre vision à long terme reste inchangée et nous continuons de privilégier les sociétés de croissance et de qualité, les thématiques porteuses (eau, énergies renouvelables, infrastructures, …) ou encore les fonds de performance absolue qui devraient bénéficier des anomalies de marché. Par ailleurs, du fait de la remontée des taux, les actifs obligataires, longtemps délaissées reprennent des couleurs et font de nouveau surface dans les allocations. Nous pensons que cette classe d’actifs représente une opportunité intéressante sur les 18 prochains mois. A plus court terme, nous restons prudents, du fait de la fragilité des différentes économies mondiales et conseillons toujours de profiter de manière graduelle des opportunités.

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